La Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), Human Rights Watch (HRW) et treize organisations ivoiriennes ont publié, ce 21 octobre, un communiqué de presse conjoint qui, dans la perspective de l’élection présidentielle, s’inquiète des interdictions de manifester et des détentions au secret d’opposants [1]. Le 5 octobre déjà, Amnesty International publiait un communiqué particulièrement alarmant sur les arrestations arbitraires à l’approche de la présidentielle [2]. Ce traitement de l’opposition rappelle malheureusement l’époque (1992) où déjà, Premier ministre d’Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara avait fait voter une loi « anti-casseurs » qui avait permis d’emprisonner une centaine de manifestants puis de faire condamner et emprisonner les leaders de l’opposition [3].
Les manifestations de ce mois de septembre étaient consécutives à la validation de la candidature d’Alassane Ouattara, malgré l’article 35 de la Constitution ivoirienne [4]. Pour l’Institut d’Études et de Sécurité, « les conditions contestées d’organisation de l’élection du 25 octobre ont de fortes chances de ne pas renforcer la légitimité du vainqueur » [5].
Il faut dire que parmi les dix candidats qui devaient concourir dimanche, trois ont d’ores et déjà renoncé à participer – dénonçant un scrutin « ni ouvert, ni régulier » pour Amara Essy, « truqué » pour Mamadou Koulibaly et « peu sincère, peu transparent et non inclusif » pour Charles Konan Banny [6]. Ces défections vont alimenter une abstention que Ouattara et ses soutiens français redoutent bien plus que le score d’une opposition profondément affaiblie depuis 2010.
Pour le journaliste Théophile Kouamouo, la présence d’un candidat représentant l’opposition FPI (parti de Laurent Gbagbo), personnage indispensable au scénario de dimanche, serait le fruit conjugué des pressions exercées par la France sur le FPI et d’un chantage sur Pascal Affi N’guessan (nouveau président du FPI, dont la légitimité est très contestée) : « À sa sortie de prison, ruiné et ostracisé, il a été reçu par des ambassadeurs occidentaux qui lui ont bien fait comprendre qu’ils ne le protégeraient que s’il se montrait disposé à participer au… casting du film » [7].
Même si des violences sporadiques pourraient perturber le scrutin et, plus encore, la proclamation des résultats, c’est surtout au lendemain de cette élection que la Côte d’Ivoire sera à la croisée des chemins. La modification profonde de la Constitution, annoncée par Ouattara pour 2016, notamment de son article 35 sur les conditions d’éligibilité du président de la République, pourrait lui laisser la porte ouverte pour s’éterniser au pouvoir. A contrario, les limitations constitutionnelles actuelles [8] encouragent à une guerre de succession dans son propre camp politique, qui a déjà commencé [9]. Le temps long, celui de l’échéance de 2020, a déjà pris le pas sur l’étape intermédiaire et finalement toute symbolique de ce dimanche 25 octobre 2015.
Après l’intervention française tout au long de la crise politico-militaire de 2002 à 2011 et finalement l’éviction par les armes du trublion Laurent Gbagbo, la sanctuarisation des intérêts français en Côte d’Ivoire se poursuit [10]. Sur le plan stratégique, malgré le massacre de civils en nombre par l’armée française en novembre 2004 [11], le camp de Port-Bouët de l’ex-opération Licorne est transformé depuis le 1er janvier 2015 en Base opérationnelle avancée de l’armée française, abritant sans limitation de durée les Forces Françaises de Côte d’Ivoire. Sur le plan économique, les tranches du Contrat de Désendettement et de Développement (C2D) hors norme de 2,9 milliards d’euros [12], au nom duquel la France finance des investissements en Côte d’Ivoire à hauteur d’une ancienne dette qu’elle a prétendu annuler, épousent jusqu’ici les échéances électorales du régime Ouattara : 2012-2015 puis 2015-2020.
Alassane Ouattara, arrivé au pouvoir grâce à la France [13], qui pesa de toute sa partialité dans la crise ivoirienne déclenchée en 2002 depuis le Burkina Faso voisin, se pose aujourd’hui en garant des intérêts de la Françafrique dans la sous-région. En témoignent sa promotion active du Franc CFA [14] ou encore son rôle dans l’exfiltration par la France de l’ex-dictateur Blaise Compaoré, accueilli à Abidjan d’où il a pu continuer à nuire au Burkina Faso.
Dénonçant un retour des relations franco-ivoiriennes sous le signe du temps long de la Françafrique, l’association Survie renouvelle ses demandes : •Au Président et au gouvernement français, d’une déclassification complète des documents liés aux événements de novembre 2004 en Côte d’Ivoire, en ajoutant ceux relatifs à la crise post-électorale de 2010-2011 ; •Au Procureur du pôle crimes contre l’humanité et crimes de guerre du Tribunal de grande instance de Paris, de déclencher d’une enquête sur les crimes imputés à l’armée française sur des civils en Côte d’Ivoire durant le mois de novembre 2004 ; •D’un retrait de l’armée française d’Afrique.
Source: survie.org